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L'approche jungienne et les TCC : deux modèles opposés ou complémentaires

  • marioncastagni1
  • 19 févr.
  • 5 min de lecture

L’univers de la psychothérapie est marqué par une diversité d’approches qui semblent parfois opposées dans leurs fondements théoriques. La psychologie analytique de Carl Gustav Jung, axée sur l’exploration des archétypes, du symbolisme et du processus d’individuation, peut sembler éloignée des thérapies cognitivo-comportementales (TCC), qui reposent sur des interventions structurées visant à modifier des schémas cognitifs dysfonctionnels. Pourtant, ces deux approches ne sont pas nécessairement incompatibles. Leur intégration permettrait de conjuguer la recherche de sens et la transformation profonde du patient avec des outils concrets et validés scientifiquement.

L’approche jungienne : une psychologie du sens et de l’individuation

Carl Gustav Jung (1964) a proposé une vision de la psyché humaine qui va au-delà des conflits intrapsychiques décrits par Freud. Pour Jung, la psyché est régie par l’inconscient personnel, mais aussi par un inconscient collectif peuplé d’archétypes universels (le Sage, l’Ombre, l’Anima/Animus, etc.). Le processus d’individuation, central dans sa théorie, correspond à un cheminement vers la réalisation de soi, où l’individu intègre progressivement les différentes parties de sa psyché pour atteindre un équilibre intérieur.

L’approche jungienne s’appuie notamment sur l’analyse des rêves, la symbolique et l’imaginaire actif pour explorer les conflits inconscients et favoriser la transformation psychique. Elle vise non seulement à soulager la souffrance du patient, mais aussi à lui permettre d’accéder à une compréhension plus profonde de lui-même et de sa place dans le monde. Toutefois, bien que cette approche offre un cadre riche pour explorer le sens des expériences individuelles, elle est parfois critiquée pour son manque de validation empirique et sa difficulté à fournir des outils concrets pour un changement rapide et observable.

Les TCC : une approche pragmatique et fondée sur les sciences cognitives

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), développées à partir des travaux de Beck (1976) et Ellis (1962), reposent sur l’idée que nos pensées influencent nos émotions et comportements. Les troubles psychiques, comme l’anxiété ou la dépression, sont souvent liés à des croyances dysfonctionnelles et des distorsions cognitives (ex. : généralisation excessive, catastrophisme). Les TCC visent à modifier ces schémas négatifs en aidant le patient à adopter des pensées plus adaptées et des comportements plus fonctionnels.

Les interventions TCC sont généralement structurées, limitées dans le temps et validées par de nombreuses études scientifiques (Hofmann et al., 2012). Elles reposent sur des techniques variées comme la restructuration cognitive, l’exposition graduée ou encore la pleine conscience (Mindfulness-Based Cognitive Therapy). Si leur efficacité est largement reconnue, elles sont parfois critiquées pour leur approche symptomatique, qui pourrait ne pas toujours traiter les causes profondes des troubles psychiques.

Bases neurologiques des approches jungienne et TCC

Les neurosciences permettent aujourd’hui d’éclairer certains des mécanismes sous-jacents aux approches psychothérapeutiques. Les TCC, par leur impact sur les schémas de pensée et de comportement, modifient directement l’activité des circuits cérébraux impliqués dans la régulation émotionnelle. Des études en neuroimagerie ont montré que la restructuration cognitive en TCC entraîne une diminution de l’activation de l’amygdale, structure clé du traitement des émotions, et une augmentation de l’activité du cortex préfrontal, impliqué dans la régulation des pensées et des impulsions (Disner et al., 2011). Ces changements sont associés à une amélioration des symptômes anxieux et dépressifs.

L’approche jungienne, bien que moins étudiée en neurosciences, pourrait avoir des effets similaires mais par d’autres voies. L’exploration des archétypes et du symbolisme active probablement des réseaux cérébraux liés à l’imagination et à la mémoire autobiographique, notamment le réseau du mode par défaut (Default Mode Network, DMN), impliqué dans l’introspection et la construction du sens de soi (Carhart-Harris & Friston, 2010). De plus, l’imaginaire actif et le travail sur les rêves pourraient influencer les processus de plasticité cérébrale en favorisant la réorganisation des représentations internes et des schémas affectifs.

Ainsi, si les TCC modifient les circuits neuronaux de la régulation émotionnelle par des processus de restructuration cognitive et d’apprentissage comportemental, l’approche jungienne semble agir davantage sur la réorganisation des représentations symboliques et identitaires. Une combinaison des deux approches permettrait donc d’intégrer des modifications à la fois cognitives et profondes, en optimisant les effets thérapeutiques.

Deux modèles opposés ?

À première vue, l’approche jungienne et les TCC semblent opposées dans leur philosophie et leur mode d’intervention. La première s’attache à l’exploration du sens et de la symbolique inconsciente, tandis que la seconde privilégie des méthodes fondées sur des preuves pour modifier les schémas de pensée et de comportement. Pourtant, ces deux modèles peuvent être complémentaires. Là où les TCC offrent des outils concrets et une efficacité rapide, l’approche jungienne apporte une profondeur et une dimension existentielle précieuses pour certains patients.

Une intégration des deux approches permettrait ainsi de répondre aux besoins variés des patients : une personne souffrant d’un trouble anxieux pourrait bénéficier des techniques comportementales de gestion du stress tout en explorant, grâce à la perspective jungienne, les racines profondes de ses peurs à travers les archétypes et les symboles présents dans ses rêves. De même, un travail sur les croyances dysfonctionnelles en TCC pourrait être enrichi par l’exploration des mythes et images qui influencent inconsciemment ces schémas cognitifs.

Vers une psychothérapie intégrative : Comment allier Jung et les TCC ?

Plusieurs pistes permettent d’intégrer ces deux approches dans une perspective thérapeutique cohérente :

  1. L’analyse symbolique pour renforcer la restructuration cognitive : Lorsque les TCC travaillent sur les croyances dysfonctionnelles, elles pourraient être enrichies par une analyse symbolique jungienne. Par exemple, un patient ayant un schéma d’échec chronique pourrait explorer, à travers ses rêves ou son imaginaire, les archétypes liés à cette peur (ex. : l’Ombre qui le sabote, le Héros qui cherche à se libérer). Cette approche permettrait d’ajouter une dimension plus profonde à la restructuration cognitive.

  2. L’utilisation de l’imaginaire actif pour modifier les schémas : L’imaginaire actif, méthode développée par Jung (1960), consiste à interagir avec des figures internes pour mieux comprendre et transformer ses conflits inconscients. Dans une optique intégrative, cette technique pourrait être utilisée pour renforcer l’efficacité des exercices de TCC, en particulier pour travailler sur les peurs irrationnelles ou les traumatismes non résolus.

  3. Associer l’individuation jungienne aux objectifs de vie définis en TCC : Les TCC mettent souvent l’accent sur des objectifs concrets (amélioration de l’estime de soi, gestion des émotions, etc.), tandis que l’approche jungienne invite à un cheminement vers une identité plus authentique. L’intégration des deux permettrait ainsi d’allier transformation existentielle et actions concrètes dans le quotidien du patient.

  4. Explorer les mythes et archétypes pour travailler sur l’acceptation de soi : L’acceptation de soi, qui joue un rôle central dans certaines approches TCC comme l’ACT (Acceptance and Commitment Therapy, Hayes et al., 1999), pourrait être renforcée par l’étude des mythes et des archétypes jungien. Comprendre que certaines luttes psychiques sont universelles et font partie d’un cheminement humain global peut aider le patient à relativiser ses souffrances et à trouver du sens dans son expérience.


Loin d’être incompatibles, l’approche jungienne et les TCC peuvent se compléter de manière féconde. L’intégration de la profondeur symbolique et existentielle de Jung avec l’efficacité pragmatique des TCC permettrait une psychothérapie à la fois transformative et fondée sur des preuves. Une telle approche intégrative offrirait aux patients des outils à la fois concrets et porteurs de sens, tout en favorisant un travail sur le long terme qui ne se limite pas à la simple disparition des symptômes.

Références

Beck, A. T. (1976). Cognitive Therapy and the Emotional Disorders. International Universities Press.

Ellis, A. (1962). Reason and Emotion in Psychotherapy. Lyle Stuart.

Hayes, S. C., Strosahl, K. D., & Wilson, K. G. (1999). Acceptance and Commitment Therapy: An Experiential Approach to Behavior Change. Guilford Press.

Hofmann, S. G., Asnaani, A., Vonk, I. J. J., Sawyer, A. T., & Fang, A. (2012). “The Efficacy of Cognitive Behavioral Therapy: A Review of Meta-analyses.” Cognitive Therapy and Research, 36(5), 427-440.

Jung, C. G. (1960). The Structure and Dynamics of the Psyche. Princeton University Press.

Jung, C. G. (1964). Man and His Symbols. Dell Publishing.

Linehan, M. M. (1993). Cognitive-Behavioral Treatment of Borderline Personality Disorder. Guilford Press.

Roussillon, R. (1999). Le jeu et l’entre-jeu. Dunod.

Tschacher, W., Junghan, U. M., & Pfammatter, M. (2014). “Towards a Taxonomy of Common Factors in Psychotherapy—Results of an Expert Survey.” Clinical Psychology & Psychotherapy, 21(1), 82-96.

Young, J. E., Klosko, J. S., & Weishaar, M. E. (2003). Schema Therapy: A Practitioner’s Guide. Guilford Press

 
 

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